TIERS-LIEUX : NOUVEAUX COEURS DE VIE VILLAGEOISE OU EFFET DE MODE ?

Retour sur 3 projets accompagnés par Villages Vivants 

Avez-vous entendu parler des tiers-lieux avant 2020 ? Si le terme est aujourd’hui sur toutes les lèvres, et qu’un observatoire officiel en décompte 3500 sur le territoire national (dont un tiers en milieu rural !), la fulgurance du mouvement des tiers-lieux pourrait laisser penser à un nouveau concept valise, simple effet de mode venu dépoussiérer les maisons des associations ou le café de village, réinventer les MJC ou les pépinières d’entreprises, enjoliver une forme de commerce multi-services…  

Savez-vous que ce terme a fait son entrée dans l’édition 2023 du dictionnaire du Petit Robert ? Si elle peut paraître ‘fourre-tout’, cette définition invoque pourtant les forces de ce qui fait tiers-lieux : l’initiative y est citoyenne, et l’espace est celui d’une communauté qui partage des ressources. Exit donc les projets de commerces, d’équipements ou de services publics où l’usager en est réduit au statut de consommateur, les projets ‘descendants’, qu'ils soient initiés par des entrepreneurs prêts à investir un territoire ou par des élus rêvant de leur projet de mandat… Faire tiers-lieu, c’est jouer collectif, et ce même quand le projet émane d’une collectivité publique ! Alors, si les tiers-lieux n’ont peut-être rien de révolutionnaire en soi, ils impliquent en réalité un changement de culture conséquent pour les institutions locales : d’aménageur ou financeur, elles doivent évoluer vers un nouveau rôle, une nouvelle casquette, celle de l’animation de projet, de l’impulsion d’une communauté… et faire preuve d’un certain lâcher-prise, dans des projets qui ne sauraient être totalement écrits par avance, et maîtrisés !

Retour sur 3 accompagnements réalisés en 2023-2024 par les équipes de Villages Vivants, toujours à l’interface entre les acteurs publics, les collectifs citoyens et les réseaux d’entrepreneurs !

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A PÉLUSSIN (LOIRE), UN TIERS-LIEU POUR STIMULER LA DÉMOCRATIE LOCALE !

En 2020, c’est une liste citoyenne qui prend les reines de la municipalité de Pélussin, Petite ville de demain de 3 700 habitants sur les hauteurs du massif du Pilat. Le bâtiment d’une ancienne école (près de 2 000m² sur 3 étages !) au cœur de la ville concentre alors l’attention des nouveaux élus : quel avenir imaginer pour ce lieu, racheté via l’établissement public foncier ? Et surtout, comment impliquer habitants et acteurs locaux pour co-écrire le projet, tout en s’assurant de sa faisabilité ? La somme des rêves de chacun permettant rarement d’aboutir à un projet collectif, réellement incarné et porté, et les friches de cette taille décourageant souvent par leurs coûts de réhabilitation... 

Plutôt que de faire appel simplement à un cabinet d’architectes pour mener une étude de programmation classique, la mairie sollicite début 2023 Villages Vivants pour constituer une équipe pluri-disciplinaire. Trois structures s’associent pour ce dispositif ambitieux :

  • Coco Architecture est chargé de travailler sur les espaces, le programme architectural, c’est-à-dire le contenant du projet et les contraintes liées au bâti.
  • Villages Vivants s’intéresse au contenu du projet : analyser les besoins locaux, identifier les futurs usages et parties prenantes du lieu et construire avec eux un scénario crédible et réalisable, qu’il s’agisse de l’exploitation future du lieu comme de l’opération immobilière pour en assurer la rénovation. Chaque usage programmé avec l’architecte dans le lieu est ainsi passé au crible d’une double analyse, spatiale et fonctionnelle : quel espace est nécessaire pour cet usage, à quel point pèse-t-il dans le budget du projet, à quel point contribue-t-il au projet collectif, dans son modèle de gestion
  • la SCIC Fréquence Commune s’associe enfin pour accompagner le processus décisionnel : spécialiste des questions de démocratie participative, elle crée et anime le cadre de construction collective du projet.

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Le “Faire tiers-lieu” démarre ainsi avant même l’occupation du bâtiment. L’étude de programmation permet de constituer un groupe mixte, forme de ‘comité de pilotage’ ouvert où la collectivité est représentée par des élus et agents en nombre minoritaire, mélangés avec des acteurs associatifs, habitant.e.s tiré.e.s au sort, porteurs de projets… qui se voient ainsi confier collectivement la responsabilité des décisions sur le projet. Car toute programmation est affaire d’arbitrages et de compromis : si chacun est prêt à promouvoir la mutualisation, un plus grand partage entre usagers, les acteurs du projets peuvent vite être tentés de tirer la couverture lorsque les débats portent sur le partage des mètres carrés ! Et les regards peuvent vite se détourner lorsqu’il est question des rôles à jouer dans l’animation du lieu, et de son collectif… 

C’est au fil des réunions collectives, de la présentation des contraintes techniques et budgétaires, de consultations des partenaires, mais aussi de visites d’autres lieux inspirants et de témoignages extérieurs, que se constitue finalement le projet collectif, et l’envie d’y prendre sa part. 

 

Quelques enseignements ressortent de cette démarche : 

  • la place et le rôle de la collectivité doivent être interrogés et clarifiés tout au long du projet : il faut avoir conscience qu’un “biais” opère dans ce projet “communautaire” puisque la collectivité est à l’initiative de la démarche, en missionnant et finançant des structures pour accompagner le projet, en convoquant les réunions et, bien sûr, en étant propriétaire du bâtiment concerné… il faut donc l’accompagner à laisser une place aux futurs acteurs du projet, tout en assumant son rôle : il faut considérer que les moyens mis par la collectivité en phase d’émergence du projet sont essentiels à sa réussite, et donc bien jauger la temporalité de son “retrait”, au risque sinon de tuer le projet dans l’œuf ! A l’inverse, il faut rapidement montrer aux autres parties prenantes que leur investissement est essentiel, et conditionne la suite, pour ne pas tomber dans un classique équipement public, institutionnel. Assez rapidement, les réunions ont donc évoqué les conditions futures d’occupation et de gouvernance, en positionnant les rôles clefs, en questionnant les modalités de bail ou d’occupation, la rémunération des fonctions d’animation, etc. Enfin, si la programmation comporte des services publics (ou autres services à la population, non lucratifs), et/ou si le projet de rénovation nécessite un fort taux de subventions, il sera alors évident que la collectivité devra jouer son rôle (maître d’ouvrage, financeur de l’exploitation qu’elle soit déléguée ou en régie), et donc penser le projet à l’échelle de ses moyens !

 

  • le projet doit rapidement trouver son identité et son “noyau” de programmation : un usage central, fédérant le reste du projet et lui donnant une certaine lisibilité, reposant sur un ou des acteurs clairement identifiés et prêts à s’investir, et ayant un modèle économique et des ressources humaines. En effet, si la démarche de co-construction implique de considérer d’abord l’ensemble des idées et propositions, il faut éviter l’effet de flottement que provoque une programmation ouverte, où tout usage serait possible, mais sans réel portage des propositions. Il est important d’assumer des choix. A Pélussin, quelques acteurs clefs ont ainsi rapidement été identifiés, comme l’école de musique : son déménagement répondait à un enjeu très pragmatique (ancien bâtiment obsolète, coûteux à mettre aux normes) et sa place dans le futur projet est donc rapidement devenue évidente pour tous, soutenue par son directeur, d’emblée investit dans le collectif. L’axe “enseignement artistique et promotion culturelle” s’est ainsi dessiné pour donner une couleur” au tiers-lieu, et y faciliter l’arrivée d’autres parties prenantes : autres associations culturelles, artisans d’arts, … Si cette fonction ne sera pas exclusive (le projet compte aussi un espace de coworking, un café associatif, …), elle permettra de communiquer plus facilement auprès de la population, en adossant au concept de ‘tiers-lieu’ un équipement connu et identifié des habitants. Le réalisme implique aussi de regarder ces usages “coeur du projet” au prisme des financements associés et des partenaires impliqués, comme ici la Caisse d’Allocation Familiale au titre d’une association porteuse de l’agrément Espace de Vie Sociale intégrée au projet, qui vient justement récompenser une fonction d’ouverture et d’animation croisant les publics. 

 

  • le projet doit répondre à différentes temporalités : le temps “long” d’une opération de rénovation doit être correctement mesuré (aléas compris !) et communiqué, sans décourager la mobilisation des uns et des autres. Il est alors important de partager une feuille de route pouvant inclure des usages et occupations temporaires, évènementiels… et incluant aussi des temps de construction “invisibles” en parallèle du chantier immobilier, mais qui éviteront des délais supplémentaires : la finalisation du plan de financement, l’élaboration de la gouvernance, etc. Il faut aussi anticiper l’évolution des acteurs du projet dans cette temporalité, donc déterminer les conditions d’entrée/sortie et fixer des rendez-vous où sera contractualisé l’engagement des parties prenantes (par exemple, la signature d’un bail au jour du démarrage des travaux, sans attendre la livraison).

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Source : Pelu’Info, octobre 2023 


A EMBRUN (HAUTES-ALPES), UNE DÉMARCHE DE MAILLAGE DES TIERS-LIEUX SUR LE TERRITOIRE DE L'INTERCOMMUNALITÉ

Après l’échelle du lieu, celle d’un territoire : 17 communes constituent la communauté de Serre-Ponçon pour 16 000 habitants, au pied du massif des Ecrins. Comment “faire tiers-lieu” à l’échelle d’une communauté de communes rurales, en territoire alpin ? Quels outils peut déployer une intercommunalité pour appuyer la mise en œuvre d’un réseau d’initiatives et de lieux, pour favoriser les coopérations, pour soutenir les communes ayant identifié un bâtiment à potentiel mais aussi les personnes portant des projets sur le territoire ? 

Début 2024, Villages Vivants démarre cet accompagnement avec toujours un objectif : animer une interface entre les collectivités et les réseaux de l'entrepreneuriat et du monde associatif. La commande passée par la communauté de communes consiste à :

  • mener un diagnostic bâtimentaire sur 9 sites identifiés par les communes : anciennes écoles ou gare, maisons abandonnées, friches industrielles… afin d’identifier leurs potentiels et le niveau de faisabilité (financière notamment) des projets

  • enquêter sur le territoire auprès des porteurs de projets, du monde associatif et des réseaux de l’entrepreneuriat, afin d’identifier les initiatives déjà existantes et celles en devenir, à la recherche de lieux d’atterrissage 

 

Cette démarche territoriale permet d’éviter une logique de clocher, qui voudrait que chaque village se dote de son “tiers-lieu”, quitte à rénover des bâtiments qui resteraient vides ou sous-utilisés faute d’usagers capables de les animer. Si une proximité reste essentielle (en témoignent les nombreuses initiatives locales de cafés associatifs comme le Prun’café du comité des fêtes de Prunières, 360 habitants), l’enjeu est de faire émerger des coopérations entre villages, dans une réelle logique de “maillage”. Qu’il s’agisse d’espaces de coworking, de plateforme de réemploi ou mutualisation de matériels, d’ateliers de réparation ou d’animations culturelles, les initiatives identifiées ont leurs propres contraintes d’espace et d’implantation, qu’il faudra faire correspondre aux lieux disponibles proposés par des communes. 

 

Cet accompagnement met de nouveau en lumière les différents rôles joués par les collectivités : 

  • en terme immobilier, bien sûr, par leur capacité à mettre à disposition des réserves foncières ou bâtiments publics vacants, et à mener à bien des opérations de rénovation grâce aux aides publiques (rénovation énergétique, …) : cette fonction est d’autant plus essentielle dans des territoires au marché immobilier tendu, principal frein au déploiement des initiatives qui ne trouvent pas de lieu d’atterrissage !

 

  • en termes d’exploitation et d’animation des lieux lorsqu’elles peuvent les soutenir par des financements ciblés (à l’image de la communauté de communes du Val de Drôme en Biovallée qui a créé en 2023 un Fonds de soutien aux tiers-lieux finançant jusqu’à 10 500€ leur fonctionnement), ou en mettant à disposition de l’ingénierie (par l’emploi d’un.e chargé.e de mission, par exemple dans le cas des ‘médiathèques tiers-lieux’ comme à Vertolaye où la bibliothécaire salariée de la collectivité soutient les bénévoles du café associatif)

 

  • enfin (et surtout !) en termes de coordination et d’animation territoriale, en proposant des évènements de mise en réseau, en accueillant les initiatives et en cherchant à faciliter leur implantation, en leur relayant des opportunités de financement ou de partenariats, etc… c’est la posture expérimentée ici par la CC de Serre-Ponçon, ou encore celle du Val de Drôme en Biovallée qui a proposé un parcours de formation aux porteurs de projets de tiers-lieux de son territoire : un moyen d’identifier et de suivre des initiatives privées, trop souvent invisibles aux yeux des institutions publiques !

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Lien vers l'article du Dauphiné Libéré : "Pourquoi le territoire pourrait voir des tiers-lieux émerger"



A DOIZIEUX (LOIRE), UNE STRATÉGIE IMMOBILIÈRE POUR PÉRENNISER UN TIERS-LIEU ARTISANAL

En 2022, Villages Vivants crée et anime un module de formation à destination des 100 tiers-lieux labellisés par l’Etat ‘Manufactures de proximité’. Depuis, la formation ‘bases d’une opération immobilière’ continue de proposer à de nombreux porteurs d’initiatives de l’ESS des clefs méthodologiques pour débloquer leur installation, ou leur pérennisation dans des locaux. Modalités d’achat collectif, bail et relation au propriétaire, stratégie de financement pour les investissements travaux… les questions posées par les tiers-lieux sont récurrentes, et l’enjeu immobilier reste crucial pour la survie de ces projets encore fragiles, qui malheureusement étouffent parfois sous le poids des loyers, des charges énergétiques (à l’image du WiP fermé en 2023), faute d’indépendance ou de visibilité au long terme vis-à-vis de leur propriétaire, ou de solution pour pousser les murs et asseoir leur modèle économique… certaines aventures sont plus heureuses comme le rachat collectif de l’Ecrevis à Annecy, ou la collecte de fonds réussie par l’Avant-Poste à Die, soutenu par Villages Vivants. 

A Doizieux, dans l’une des anciennes vallées industrielles du massif du Pilat (Loire), héritière d’une longue tradition textile, un tiers-lieu est né sous l’impulsion des collectivités (dont le Parc naturel régional) et d’un collectif d’habitant.e.s et artisan.e.s. Les nouveaux ateliers du Dorlay ont investi 2 sites où sont proposés des ateliers d’artisanat, des formations, des évènements grand public, et la valorisation du patrimoine industriel et des savoir-faire. Bien que soutenue par l’Etat au titre des Manufactures de proximité, l’équilibre de l’association reste précaire, et sa pérennisation est conditionnée par le développement de nouvelles activités, nécessitant de nouveaux espaces. C’est aussi le cœur du projet collectif, qui vise à animer l’ensemble des communes en rayonnant sur la vallée du Dorlay. 

Dans ce contexte, Villages Vivants intervient directement auprès de l’association pour animer un groupe de travail et lui fournir des outils méthodologiques, des documents de référence ainsi qu’une prise de recul sur le projet associatif et son modèle. Plusieurs bâtiments ont été visités et diagnostiqués, et les partenaires publics et privés rencontrés pour analyser les opportunités et nourrir un plan d’action. Besoins de court terme et projet au long cours doivent alors pouvoir se concilier : le maintien de l’activité quotidienne de l’association et de son équilibre économique se confronte au long processus pour convaincre les collectivités publiques et affronter de lourdes rénovations de bâtiments industriels. 

 

“L’accompagnement de Villages Vivants met en perspective les opportunités face à nos ambitions, nous aide à aller vers quelque chose de réaliste pour faire nos preuves. Il ouvre de nouvelles idées tout en posant les étapes importantes pour passer du temporaire au pérenne.” 

Membre du Conseil d’Administration de l’association Les nouveaux ateliers du Dorlay

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